Les agences immobilières forcées d'adapter leur stratégie face à la crise
Près de 10 000 suppressions d'emplois et jusqu'à 3 000 fermetures d'agences en 2012. Les perspectives dessinées par la Fédération nationale de l'immobilier (Fnaim) dès cet été, et réitérées lundi et mardi 11 décembre à l'occasion de son congrès annuel, a de quoi effrayer le secteur immobilier, qui rassemble environ 30 000 entreprises et représente plus de 200 000 emplois. Alors que l'année s'achève, l'inquiétude est d'autant plus vive que la profession a souffert d'une importante baisse d'activité : "Moins 20 % environ de transactions immobilières sur un an dans l'ancien et de - 30 à - 35 % sur les dix-huit derniers mois", estime Michel Mouillart, professeur d'économie à l'université Paris-Ouest, qui constate un "effondrement du marché spectaculaire".
Cette situation est similaire, selon lui, à celle qu'a connu le secteur au début des années 1990. La crise économique, conjuguée à la baisse des aides publiques favorisant les transactions immobilières, avait provoqué une chute de l'activité et la perte de 15 000 à 20 000 emplois. Alors, "si le marché s'enlise dans le marasme actuel, l'ensemble de la profession pourrait perdre au total 15 000 emplois, peut-être plus", avance M. Mouillart, évoquant un "ajustement important en cours".
Premiers touchés, les agents immobiliers indépendants, qui ne bénéficient pas de "l'image de marque, du marketing, de la trésorerie ou encore de la formation d'un grand groupe", énumère Jean-François Buet, président de la Fnaim. Pour l'instant, les grandes agences immobilières sont en effet unanimes : elles ne sont pas encore touchées par des pertes d'emplois. Pour autant, "elles n'échappent pas à la baisse de l'activité", avertit M. Buet.
DES "EFFETS D'ANNONCE" QUI "FONT PEUR"
Chez Century 21, on relève 12 % de transactions immobilières en moins en 2012 par rapport à l'année précédente. "Mais il ne faut pas oublier que 2011 était une année record en termes de transactions. Aujourd'hui, le marché n'est pas bloqué, il a simplement ralenti parce que l'on est passé d'un marché de frénésie à un marché de raison, crise oblige", fait valoir Laurent Vimont, son président. Fort de son réseau de 900 agences et de ses 6 000 salariés, Century 21 a tout de même lancé en septembre une phase de recrutement avec un millier de postes à pourvoir. "Nous estimons que c'est justement quand la conjoncture du marché est difficile qu'il faut recruter pour se développer."
Même son de cloche au sein du groupe ERA, qui compte 2 500 agences dans le monde, dont 350 en France. "Nous avons encore 600 postes à pourvoir cette année", signale François Gagnon, président ERA Europe et ERA France. "2012 a été difficile, et 2013 est encore incertain. Nous voulons mettre un coup d'accélérateur." Pour lui, la baisse des transactions s'explique surtout par un manque de confiance. "Les effets d'annonce du gouvernement – taxation accrue, contrôle des loyers, saisie des biens vides – font peur : elles donnent l'impression de vouloir punir les propriétaires, alors qu'il faudrait au contraire leur redonner confiance par des mesures incitatives, afin de favoriser les constructions et ainsi augmenter l'offre", plaide-t-il.
"ÉVOLUTION EN YOYO DE LA FISCALITÉ"
Du côté d'Orpi, qui s'attend cette année à une baisse de ses transactions comprise entre 15 et 20 %, on met en avant une contraction d'environ 20 % du pouvoir d'achat immobilier des Français depuis deux ans. "Les crédits immobiliers sont accordés sur des durées plus courtes, tandis que le niveau d'apport demandé augmente, représentant désormais 10 à 20 % du montant de l'achat. Ce contexte crée des tensions sur le pouvoir d'achat, que la faiblesse actuelle des taux d'intérêt ne compense pas", argumente Bernard Cadeau, le président du groupe. Alors, s'il n'enregistre pour l'instant aucune suppression de poste, il ne peut s'empêcher d'"avoir des craintes sur l'emploi à terme, d'autant que nous n'avons pas de vision claire du paysage fiscal dans les années à venir".
Cet argument est largement relayé par le président de la Fnaim, qui dénonce "une évolution en yoyo de la fiscalité. Par conséquent, malgré des prix qui se sont stabilisés et des taux d'emprunt extrêmement bas, le marché reste très attentiste face aux mesures du gouvernement". Ainsi de la taxation accrue sur les plus plus-values réalisées lors de la vente de biens immobiliers imposables (hors résidences principales), votée vendredi par les députés dans le cadre du projet de loi de finances rectificative de fin d'année. "Sans compter la suppression au 1er janvier 2011 du prêt à taux zéro dans l'ancien, qui ne favorise plus l'accès à la propriété des ménages les plus modestes et a des conséquences directes sur la chute des transactions", regrette M. Buet.
EXPERTISE CONTRE SURESTIMATION
Afin d'enrayer cette chute, les professionnels du secteur veulent croire que leur bonne connaissance du marché jouera en leur faveur, en particulier en cette période de crise. Chez Century 21, cela passe par une nouvelle formation "Booster", mise en place en janvier, afin de s'adapter aux nouvelles conditions du marché en mettant l'accent sur l'analyse comparative. "L'immense majorité des particuliers ont tendance à surestimer le prix de leur bien. Quand ce dernier est toujours sur le marché plusieurs mois après, ils finissent par se tourner vers nous pour corriger le tir", observe Laurent Vimont.
En outre, une bonne partie du marché "n'appartient pas encore aux professionnels du secteur et reste à conquérir", renchérit François Gagnon. Selon une étude de MeilleursAgents.com, réalisée en collaboration avec l'université Paris-Dauphine et l'IFOP, 68 % des transactions immobilières sont en effet réalisées par l'intermédiaire d'agences immobilières, alors que les services de mise en relation entre particuliers sont à l'origine de 19 % des transactions et que les autres canaux (notaires, famille, amis, etc.) n'en représentent que 13 %.